En Direct D Ailleurs by Morris Gilles

Auteur:Morris, Gilles [Morris, Gilles]
La langue: fra
Format: epub
Tags: s f
Éditeur: Fleuve noir
Publié: 2015-03-06T23:00:00+00:00

CHAPITRE VII

... La charogne immonde, dernier avatar de l’oumladr, tressaute et se tord sur place, hanté d’une vie factice par l’évolution fulgurante d’une décomposition encore plus rapide sur Xéna que sur Terre...

... et je m’éveille, baigné de sueur, dans la nuit paisible de ce seizième arrondissement de Paris, la nuit terrienne... C’est la première fois que transporté sur Xéna, dans la peau d’Hemahan, par la voie onirique, j’y évoque ma propre planète, sous la forme d’une comparaison sans importance, et que je me retrouve instantanément ramené sur Terre, sans l’avoir souhaité, hors du cauchemar que j’étais en train de vivre.

La première fois également que suspendu entre deux réalités, entre deux mondes, je me demande, l’espace d’un vertige, si je suis un Terrien nommé Yves Marchand qui rêve, par épisodes, la vie d’un Xénan nommé Hemahan ou bien un Xénan nommé Hemahan qui rêve, par épisodes, la vie d’un Terrien nommé Yves Marchand. Dilemme que je ne souhaite à personne et qui s’accompagne d’une horrible sensation de chute... Les philosophes jouent volontiers à douter de leur propre existence. Mais ce ne sont jamais que des abstractions, des acrobaties mentales, pour le plaisir de faire marcher leurs neurones. Douter réellement qu’on existe, sous une forme ou sous une autre, hésiter entre deux identités qui vous apparaissent, brusquement, aussi peu probables l’une que l’autre, ce n’est pas du tout la même musique. Une musique qui prend aisément des accents funèbres...

Le sens de ma réalité la plus probable se recristallise, par degrés, autour de la personne de Claude qui dort tranquillement, près de moi.

Mes yeux accommodés au clair-obscur de la chambre distinguent, vaguement, le profil de son corps abandonné, seins offerts, dans la chaleur de la nuit, et la tentation de la caresser, de la posséder pour me démontrer à quel point j’existe dans ce secteur précis du cosmos monte en moi comme une marée déferlante.

A laquelle je résiste. Il m’a suffi d’éprouver ce désir sauvage, de savoir que si je voulais, je pourrais le satisfaire, pour me retrouver entier, intact dans ma propre peau. Je suis Yves Marchand et je vis sur Terre. Pas Hemahan, le chasseur de krêles de la planète Xéna. Hier soir, au journal télévisé, on a signalé, brièvement, la découverte bizarre, dans la forêt de Fontainebleau, d’une défroque masculine intérieurement garnie d’un étrange résidu visqueux, dégageant une odeur affreuse, qui d’après les témoignages recueillis, ne pouvait pas se trouver là depuis plus d’une heure et ne ressemblait, de toute manière, à rien de connu.

Surtout pas à un cadavre !

Evacuée par les services publics, la drôle de dépouille ferait l’objet d’une analyse, mais les probabilités envisagées penchaient fortement vers quelque farce macabre, et je doutais que nous entendions jamais reparler des résultats de cette analyse.

Autre nouveauté de la nuit, lorsque je me rendors — sur Terre — et me retrouve — sur Xéna — allongé en travers de ce tumulus où je viens de tuer mon voleur de krêles, je refuse, délibérément, de vivre ou de revivre mon retour fastidieux et passe directement à cette arrivée triomphale entrevue dans un rêve antérieur.

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